Vous l’avez compris si vous avez lu « La Maison bleu horizon », ou le comprendrez le moment venu, mais ce roman n’est pas qu’un roman de fantômes, de maison hantée ou d’Histoire, il va bien au-delà. J’ai passé quelques années à éplucher les « vieux grimoires » des archives départementales du Nord pour retracer l’histoire de mes ancêtres. La généalogie fut une passion enrichissante pour moi et j’ai appris bien plus que sur mes aïeux. Un jour, alors que je fouinais dans les archives en ligne du Ministère de la Défense, j’ai découvert un dénommé Jules Dhainaut, 361ème Régiment d’Infanterie, mort des suites de ses blessures à l’hôpital militaire de Brest (Bretagne), le 25 septembre 1914. Des recherches plus précises m’ont indiqué qu’il n’était pas de ma famille, mais un détail attira mon attention : il portait la mention « Mort pour la France », mais n’était pas inscrit sur le monument aux morts de sa commune de résidence. Je le savais avec certitude puisque c’était la même que mes deux grands-oncles, Louis et Joseph Dhainaut, morts en septembre 1915 dans la Marne. Intrigué, j’ai alors poursuivi mes recherches et j’ai constaté que sa commune de résidence n’avait aucune trace de son décès.
J’ai alors contacté la ville de Brest et obtenu les informations que j’espérais. Ma conclusion fut rapide : sa ville de résidence, dans le Nord de la France, était à ce moment-là occupée par les Allemands et le courrier devant informer la mairie et la famille du décès de Jules Dhainaut n’est jamais arrivé à destination. J’étais stupéfait. J’ai alors rédigé un courrier, contacté le maire qui, avec son équipe, est arrivé aux mêmes conclusions que moi : Jules Dhainaut avait été oublié. Imaginez que sa famille, depuis septembre 1914, n’a jamais su. C’est le 11 novembre 2008, soit 90 ans après la fin de la Première Guerre mondiale, que je fus convié à participer au dévoilement du nom de Jules Dhainaut, ajouté au monument aux morts, au côté de ses frères d’armes. Mais l’aventure ne s’arrêtait toutefois pas encore là.
En août 2009 je me suis rendu dans le carré militaire du cimetière de Brest, dans lequel j’avais localisé la tombe via les informations du Ministère de la Défense. En arrivant devant celle-ci je remarque une faute d’orthographe dans le nom de famille de Jules : Dhainant, au lieu de Dhainaut. Immédiatement, mon téléphone portable collé à l’oreille, j’ai appelé les services compétents pour les informer du problème. Ils m’ont demandé de prendre une photo de la tombe et de leur transmettre. Le soir même, à l’hôtel, je leur envoyais le cliché.
Ce jour d’août 2009, j’étais le seul, avec ma soeur qui m’avait accompagné pour l’occasion, à avoir déposé quelques fleurs sur sa tombe depuis le jour de sa mort en septembre 1914, ignorée de tous, sauf de ses camarades de tranchée. Cela a pris du temps, et en 2015 je suis allé vérifier que l’erreur avait bien été réparée et pris une dernière photo. Une nouvelle plaque orne maintenant une tombe du carré militaire du cimetière de Brest, et dessus est désormais écrit « Jules Dhainaut ». Ce même soldat dont le nom figure maintenant au côté de ses camarades morts pour la France, dans cette petite ville du Nord qu’il quitta un jour pour ne jamais y revenir, et dans laquelle, durant longtemps, ses proches pleurèrent ce soldat disparu.
Cette aventure dont je reste fier au nom de la mémoire de cet homme, et de tous ceux auxquels nous devons notre liberté m’a appris beaucoup. J’aime l’Histoire, du moins certaines périodes tel que le Moyen Âge, et j’ai un profond respect pour celle de la Première Guerre mondiale. Forcément, cela a nourri mon inspiration, même si, à ce moment-là, j’ignorais encore quel serait mon parcours dans l’écriture. Ce que j’ai fait, je ne le dois pas au hasard ou à la coïncidence d’être tombé sur son nom dans les archives, mais à la croisée de destins : celui de Jules Dhainaut, et le mien.
La Maison bleu horizon est dédiée à mes deux grands-oncles, Louis et Joseph Dhainaut, 151ème Régiment d’Infanterie, morts tous deux en septembre 1915 à Aubérives sur Suippes, dans la Marne (un petit village sur le front, qui fut complètement éventré par les obus avant d’être reconstruit après la guerre). Mes recherches m’ont conduit à pouvoir réécrire tout leur parcours et leur histoire dans un ouvrage que seuls la famille et les descendants possèdent, et à retrouver précisément l’emplacement de leur tranchée, encore visible dans les champs de ce village. J’ai passé tellement de temps à imaginer leur enfer, là, dans ce champ, quand ils levaient les yeux vers les étoiles la nuit, en pensant à la famille restée dans le Nord occupé, que je ne pouvais pas oublier de les remercier de m’avoir tant inspiré, et leur témoigner tout le respect dont ils sont dignes. Eux, et tous leurs camarades.